Par Alix Colin (sur la photo) – 1er avril 2024

La harpéothérapie est une pratique de musique thérapeutique utilisant la harpe. Dans cet article, Alix Colin décrit les enjeux spirituels qui sous-tendent cette pratique artistique, favorisant la guérison intérieure, la détente et l’expérience spirituelle. Cet article explore la manière dont, selon Alix Colin, la harpéothérapie enrichit le domaine de la santé en réaffirmant la valeur de ce type de soins.

 

Ils chercheront un homme qui sache jouer de la harpe, il jouera de sa main et tu seras soulagé. (Bible, 1 Samuel, 16 :16)

 

Quand la musique répond aux besoins spirituels des patients

La musique est un élément présent dans la vie humaine depuis toujours et à jamais. Son usage en tant que soin date du début de l’humanité : on en connaît la trace par les mythologies, l’archéologie, l’anthropologie et le chamanisme. Ce n’est qu’au 20e siècle que la musicothérapie est devenue une véritable pratique psychothérapeutique autonome. Étayée par des études scientifiques ou vécue dans l’essence de l’art, la musique qui soigne ne se laisse pas facilement définir, car elle peut prendre de multiples formes. Dans cet article, nous allons nous approcher d’une technique musicale thérapeutique spécifique : la harpéopathie, qui porte une attention particulière au soin spirituel que la musique peut offrir.
 
Depuis l’avènement du 21e siècle, les neurosciences étudient passionnément les effets de la musique. De nombreux chercheurs tels qu’Oliver Sacks (UK), Barbara Crowe (É.-U.), Erik Scherder (NL), Thilo Hinterberger (DE) ou plus récemment Barbara Tillmann et Emmanuel Bigand (FR), ont mis en évidence l’importance de la musique pour le bon fonctionnement du cerveau. Ils sont allés jusqu’à dire que la pratique musicale permet sa croissance chez l’enfant et prévient les dysfonctionnements du grand âge. Les techniques de développement personnel quant à elles n’ont pas attendu ces résultats pour intégrer de plus en plus la musique en tant qu’outil de mieux-être. D’un côté, c’est profitable, car la médecine s’est ouverte aux autres besoins que les soins corporels. D’un autre côté, il ne faudrait pas croire qu’elle peut devenir un soin mécanique. L’art-thérapie ne fonctionne pas selon un lien de cause à effet, mais selon un cheminement individuel, complexe et subtil, faisant appel à la transcendance. Pour nous toucher, l’œuvre d’art doit dépasser le seuil du « visible » (ou de l’audible). La musique est d’abord vécue sensoriellement, bien qu’elle n’ait pas de matière, mais son champ d’action se situe là où sa résonance profonde éveille notre âme, ou notre cœur. Elle invite celui qui l’écoute sur le seuil entre le monde visible et invisible. L’invisible est-il seulement imaginaire ? Nous vivons pourtant notre existence avec toutes sortes d’éléments que nous ne voyons pas et qui nous sont familiers tels que l’inconscient, l’espérance, la grâce ou l’intuition. L’invisible en nous peut constituer une puissante source pour notre vie entière.
 
Au fil de ma pratique en tant que musicienne de chevet, j’ai constaté que la musique ainsi dispensée favorise quatre mouvements intérieurs importants, comme quatre directions de guérison : la détente, l’expression, la facilitation et le lâcher-prise. Chacune d’elles peut être vécue d’un point de vue physique, émotionnel, mental ou spirituel. On voit alors clairement que la musique vivante est toujours mieux indiquée que celle enregistrée, car au fil de son déroulement, le praticien-musicien peut faire évoluer son jeu en fonction des besoins du patient, et c’est tout un art. Il s’agit d’être conscient des forces contenues dans la musique qui est offerte jusqu’au moindre détail. Il s’agit d’être capable d’observer finement l’écoutant, y compris avec l’intuition, pour diriger l’improvisation d’une façon qui lui est tout adaptée pour lui permettre d’accéder aux sentiments élevés, qui le conduiront à vivre ce qu’on appelle communément le Sacré. Nous en faisons l’expérience lorsque nous ressentons ce mouvement intérieur unique, et pourtant familier, de retournement de notre vouloir égocentré vers un élan altruiste et universel. Contemplation, émerveillement, compassion, plénitude, pureté, raffinement, espérance… Nous les vivons au contact de la nature, des arts, de la fragilité et du silence. Plus nous expérimentons des moments de Sacré, plus notre vie semble gagner en signification.
 

Cette harpe qui guérit

La harpéopathie a vu le jour il y a une quinzaine d’années. Elle s’inscrit dans le contexte plus large de la harpe-thérapie qui est pratiquée depuis la nuit des temps, mais qui s’est particulièrement développée depuis les années 80 aux États-Unis, puis dans le monde entier. J’ai créé ce mot pour définir ma pratique, et en assumer tant la spécificité que l’enthousiasme.

La harpéopathie est d’abord un art, parce qu’elle doit être vécue en priorité comme un événement artistique, tant par le praticien que par le patient. Cependant, il ne s’agit pas de divertissement, la musique jouée doit être à la fois sensible et prescriptive. Sensible (Alix Colin), cela veut dire qu’elle atteint la subtilité, le raffinement, et ne véhicule pas d’émotions envahissantes comme les passions excessives ou l’excès d’adhésion. Prescriptive (Christina Tourin, USA), cela veut dire qu’elle est créée spécifiquement pour telle personne ou telle situation.
 
La harpe possède des qualités tout indiquées pour ce rôle. Étant donné que l’on pince la corde sans artifice, directement avec le doigt, il y a un engagement du musicien dans le son, un engagement d’âme. Du fait que la corde résonne longtemps, sans qu’on en étouffe le sustain, un nuage de sons se crée, formant un pont entre l’audible et l’inaudible (Daniel Perret, CH). La harpe possède encore d’autres attraits, plus symboliques, tels qu’une imagerie angélique, une large tessiture musicale (Sarajane Williams, É.-U.). Elle a un son doux et émouvant, une présence charismatique et une longue histoire liée à la poésie et aux mythologies (Jeanne Martin, É.-U.). Rares sont les gens qui y sont indifférents.
 

La harpe installe autour d’elle un cercle de magie et de splendeur (Alix Colin, La harpéopathie, éd. BoD, 2022)

 
Au-delà de l’impact vibratoire sur le corps (dont les neurosciences étudient les effets de plus en plus précisément), on touche ici à des processus de guérison intérieure, la mise en résonance de notre Essence inaltérable. Nous avons une part de nous-mêmes qui reste immaculée et lumineuse malgré l’âge, la maladie ou les problèmes personnels. Nous pouvons restaurer ou renforcer cette part puissante en nous, grâce à la musique. Nous visitons volontiers notre jardin intérieur (rempli d’émotions et de souvenirs) mais nous ne pénétrons pas si souvent consciemment dans notre temple intérieur. C’est un espace sacré et profond, dans lequel nous nous tenons avec respect et humilité, parfois même un peu d’effroi. Cependant, une fois entrés, nous pouvons y vivre l’élévation et la grâce. Lorsque nous le goûtons, la grâce monte en notre âme à travers des mouvements d’affirmation, de confiance et d’espérance. Il ne s’agit pas de croyances, il s’agit plutôt d’un état énergétique, et celui-ci libère des forces personnelles, pour une guérison intérieure qui peut mener ensuite jusqu’à la guérison physique. C’est ce qu’on appelle la guérison spirituelle.
 

Le vécu auprès des patients

Le harpiste-praticien en harpéopathie doit devenir un véritable funambule sur les cordes de sa harpe. Cherchant un nouvel équilibre à chaque pas, il évolue entre ciel et terre et s’en remet à des forces invisibles. Celui qui l’écoute retient son souffle et ne peut que marcher avec lui, intérieurement, tant son cheminement est exquis.( Alix Colin, Cette harpe qui guérit, 2021)

 
La musique vivante jouée au chevet de personnes souffrantes a toujours permis d’ouvrir la porte à une spiritualité au sens large, sans passer par des codes religieux. Il y a comme un effet direct. L’émotion ressentie est souvent vive et appréciée, bien qu’elle provoque des larmes. Ce sont généralement des larmes d’attendrissement ou de béatitude, sans tristesse.
 
Si le processus de la harpéopathie est tout intérieur et personnel, ses effets sont quant à eux bien visibles. Le stress et l’anxiété sont presque immédiatement soulagés, voire éliminés, ce qui régule les paramètres vitaux tels que l’oxygénation, la tension artérielle, la température corporelle, le sommeil, l’appétit, l’immunité ou la douleur. On peut voir des patients se détendre physiquement et trouver du confort, ou se libérer de la tension émotionnelle. Certains vont se sentir stimulés et motivés, ils se remettent petit à petit en mouvement (en commençant par la danse du bout des orteils). D’autres retrouvent le goût des choses : ils sourient, ils réinvestissent leurs relations, ils communiquent mieux et donnent du sens à leur vie présente. Souvent, les autres soins sont facilités, car les patients apaisés et moins en douleur deviennent plus coopérants. Certains peuvent enfin lâcher-prise en fin de vie et se laisser partir en paix et en douceur.
 
De plus, la harpe n’agit pas que sur les patients, elle offre la même qualité d’amélioration chez les proches, les visiteurs ou les soignants qui les entourent. D’une manière générale, on voit clairement que la paix et la positivité s’installent dans son rayonnement. L’intimité devient tendresse joyeuse. Les patients manifestent leur dignité, leur joie, leur amour. On ne guérit bien sûr pas les pathologies lourdes, mais on bonifie certainement le vécu. Il est dès lors souvent possible de réduire la médication (antidouleurs et anxiolytiques) ou diminuer la présence des machines. La harpéopathie s’adresse à tous, mais trouve particulièrement sa place dans l’accompagnement palliatif.
 

Ça chante en moi quand vous jouez
C’est une musique qui va très profond en moi
J’adore vos petites notes cristallines (sourire et mouvements des doigts), je m’envole avec elles
J’entends comme un ange
C’est si beau, je pleure
Cette musique m’a reboisée
C’est un enchantement, c’est tellement mieux que les grincements de la radio
Je me suis sentie enveloppée
J’ai hâte de ce moment pour écouter et vivre
J’ai reçu de l’énergie et de la paix, puis j’ai contemplé la lune dehors
Je n’ai pas de mots, je suis juste émerveillé

 
J’improvise toujours une musique unique, dans l’instant. J’observe la personne : comment elle se tient, comment elle respire, comment résonne sa voix, quel est son besoin ? Je suis mon intuition : quelle musique se présente à moi intérieurement, quel élan créatif, quelle invitation est-ce que je ressens ? Et j’écoute ma harpe : comment résonne-t-elle dans ce lieu, quelle tonalité vibre le mieux, quel flux musical offre le meilleur écho ? Ainsi, la musique se construit sous mes doigts au fur et à mesure. C’est une chance qu’elle soit un art du temps, elle évolue chaque seconde, sur mesure.
 

Les perspectives

La harpéopathie prend des formes variées. Je visite des patients hospitalisés, au chevet, mais je joue aussi des concerts méditatifs. Je rassemble des non-musiciens pour jouer de la harpe ensemble, ou je sors avec mes élèves dans la nature, à la rencontre des arbres ou des animaux. Tous ces moments sont destinés à faire vivre aux bénéficiaires une relation qualitative, personnelle et subtile avec la musique.
 
La musique thérapeutique n’est pas réservée à la harpe, ce serait prétentieux de le penser, mais il s’agit d’un instrument privilégié pour la pratiquer. Le 21e siècle est marqué du sceau de la musique, elle est partout et accessible en continu. De plus en plus de gens, à travers le monde, désirent vivre l’expérience de la musique avec une nouvelle conscience. Au lieu de se divertir par sa performance et sa notoriété, un public de plus en plus large se met à l’écoute (et à la recherche) de ses effets profonds. Il est donc très important de proposer aux musiciens qui le souhaitent de se former dans ce domaine. On peut commencer par renouer avec les sagesses anciennes, car elles sont intemporelles. Elles invitent toujours à vivre la musique depuis notre temple intérieur, en tant qu’expérience sacrée.
 

Il y a toutes sortes de mouvements dans le silence
Écouter ce qui s’entend n’est pas aussi bon qu’écouter ce qui ne peut être entendu
Vous atteindrez la profondeur en appréciant ce qui est invisible
Vous obtiendrez ce que vous cherchez en écoutant le silence
(Seo Kyung-Deok, poète coréen (1489-1546))

 

Références

BIGAND Emmanuel & TILLMANN Barbara, La symphonie neuronale, éd. HumenSciences, 2020

COLIN Alix, La Harpéopathie, 2022, BoD éd.

PERRET Daniel, La harpe et les soins à distance, 2020, Music&Energy

TOURIN Christina, Cradle of sound, IHTP manual, Emerald Harp

WILLIAMS Sarajane, Good vibrations, Principles of Vibroacoustic harp therapy, 2005, musiatry
 



Alix Colin est harpiste et compositrice, imprégnée de musique traditionnelle européenne. Elle est la fondatrice de la Harpéopathie © : une approche de la harpe sensible et créative au service du bien-être depuis 2009. Elle est formée en harpe-thérapie (IHTP, É.-U.), en psychophonie, en pédagogie Steiner, elle est sonopraticienne Peter Hess, certifiée de l’Open Ear Center, intervenante à l’école des rites EDR et en formation RESSPIR. Sa carrière s’axe sur trois pôles : enseignement de la harpe et de la harpe-thérapie ; soins de harpéopathie et créativité artistique holistique. Sa spécialité est l’improvisation spontanée et inspirée, à partir de thèmes traditionnels. Elle rassemble dans l’espace sacré de sa harpe tous ceux qui cherchent réconfort, ressourcement, élévation, grâce et positivité : www.harpeopathie.be 
 




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